vendredi, mars 30, 2007

Retour vers le Nord


Ça y est, de retour vers notre mère-patrie! Enfin, je dis «notre» alors qu’il ne s’agit en réalité que de moi puisque je suis la seule Canadienne à bord. Autrefois, le Gypsum Baron était enregistré à Londres (Angleterre) mais avait un équipage canadien et des hauts gradés britanniques. Je suis la seule rescapée de cette époque bénie, avec mon capitaine Écossais, depuis que le pavillon est devenu Bermudien.

Je ne me targue habituellement pas de mon statut de Canadienne (qui me donne le privilège de faire les emplettes pour le bateau...), mais Hantsport est un peu mon petit chez-moi, et je considère la baie de Fundy comme mon entrée de garage.

Ce matin, en me levant, juste avant de prendre mon café rituel, je vais faire un tour sur le pont. Il est 06h, le soleil va bientôt se lever. L’air commence à fraîchir, on sent l’automne arriver. Mais ce qui frappe mon cerveau reptilien (le reste du cerveau n’est pas encore tout à fait éveillé), c’est le fumet! En fait, le cerveau reptilien ne sert qu’à ça, je crois : recevoir des fumets. L’iode, les algues, le poisson, toutes ces senteurs maritimes qui disparaissent quand on est trop au large, ou bien près des côtes urbanisées…

Dans la baie de Fundy, les eaux ont une teinte brune, rouge et ocre. Rien à voir avec le turquoise des Antilles ou des Caraïbes. Mais tout de même rien à voir non plus avec la pollution de la rivière Hudson avec ses eaux malsaines. Ici, le sol même est rouge. Boueux. Et les marées de 13 mètres, les plus hautes au monde, contribuent à brasser le tout. Il s’agit donc d’un brun noble, donc acceptable pour ma fierté pan-canadienne. Les Rocheuses peuvent aller se rhabiller.


Trois heures avant la marée haute...


... et à la marée haute!

Hantsport, comme durée d'escale, c’est un clin d’œil dans nos voyages. Que dis-je, un frémissement de cil. Ou de poil de jambe. C’est rapide, c’est entre deux marées, c’est trois heures (maximum). On s’y prépare longtemps en avance. Nous planifions notre vitesse pour y arriver trois heures avant la marée haute, à lège, pour charger, à fond les manettes, avec deux convoyeurs, avant même que le «Finish with Engine» ne soit sonné sur le télégraphe. Puis on repart à l’étale de la marée haute, pour que la marée descendante nous guide vers le large. Mais surtout parce que dès que nous sommes chargés, si la marée descend d’un poil (de jambe?), nous touchons le fond.

Au-delà de la poésie du petit chez-soi romantique, une planification s’impose. Déjà, il faut décider qui du chef mécanicien ou de moi (second mécano) ira à terre. L’un de nous doit rester à bord. Celui qui sort gagnant de cette confrontation a cependant du pain sur la planche. Avec le chef polonais, c’est habituellement moi qui gagne (ou qui s'y colle). Une demi-heure avant la fin de la manœuvre, quand on commence à voir le quai au loin, le chef vient me remplacer dans la salle des machines. Je me hâte d’aller chercher mon courrier (arrivé via le remorqueur quelques minutes auparavant), histoire de voir si j’ai des comptes urgents à payer, puis je m’habille en civil. J’enfile pardessus mon civil : mon gilet de sauvetage, mon casque de sécurité, mes lunettes protectrices, qui constituent l'équipement réglementaire pour obtenir le droit de passer sur le quai.

On a l'air malin, au supermarché, avec notre accoutrement!!!

J’ai, en plus de la mienne, la liste d’achat de la moitié de l’équipage, ma carte de téléphone pour donner quelques nouvelles à mes proches, mon ordinateur portable pour aller chercher mon courriel, mon carnet de banque…

Juste avant qu'on accoste, je m’installe à proximité du gangway et j’attends que les matelots finissent de l’attacher. Dès le dernier nœud terminé, je me précipite. Je salue les gars de terre en passant, je me hâte vers la petite cabane en haut de la côte. Je me déleste de mon gilet de sauvetage et tout cet équipement qui me donnerait un air bizarre au village. J’attrape le téléphone, je fais quelques brefs appels, prends mes courriels, puis les choses sérieuses commencent. Je quitte l’enclos de la Gypsum et j’arrive en Ville!!! Enfin, au village...

Arrêt au bureau de poste, arrêt au petit magasin du coin pour vérifier les billets de loteries des ti-gars, arrêt à la banque, arrêt au supermarché pour effectuer les commissions de tout le monde… Il n’est pas rare qu’au supermarché je rencontre certains de mes gars. Souvent le cook lui-même, parfois d’autres, qui font provision de cochonneries pour un party qui s’en vient.

J’en profite pour recruter quelques bras pour mon prochain arrêt, la quincaillerie. C’est là que je fais les achats pour la salle des machines. Outils, joints, accessoires électriques, tout ce qui est un peu trivial mais trop pressé pour attendre que la commande soit acceptée par les Bermudes, autorisée par Manille, cotée par diverses compagnies américaines, approuvée de nouveau par les Bermudes, commandée finalement, puis livrée par la compagnie choisie, qui la confiera à une agence de distribution, qui l’enverra dans le port supposé où nous devrions arriver éventuellement.

Gare à nous si notre horaire change! Quand on a besoin d’une rondelle d'étanchéité parce que notre toilette coule, c’est un peu chiant (et je pèse mes mots) d’attendre tout ce temps.

Parfois, par solidarité, l’un des bateaux de la Gypsum ramène à Hantsport (point de rassemblement universel des Gypsum King, Gypsum Baron, A.V Kastner et Gypsum Centennial) les boîtes qui sont destinées à l’autre. Nous fréquentons tous les mêmes ports, ou à peu près. Il y a cependant le risque que le Centennial, alléché par le contenu de la commande qui nous est destinée, nous pique quelques gants de travail, quelques boulons, quelques outils. Mais ce sont des risques calculés. Le fautif s’expose à une vengeance!

Heureusement que Hantsport n’est pas très grand. Le chemin du retour se fait habituellement à la course, sacs d’épicerie en main, pack-sac rempli à ras-le-pompon sur le dos, en écoutant avec inquiétude le bruit du chargement. On entend la roche tomber jusqu’au centre-ville! Tant que le chargement n’est pas terminé, il y a espoir de ne pas rater le bateau. Je dois me hâter car personne n’attendra après moi. Le navire doit quitter, même si le capitaine en personne manque à l’appel, sinon c’est l’échouage à marée basse.

Un dernier arrêt à la cabane en haut de la côte pour ré-enfiler l’équipement de sécurité, puis je dévale la côte au pas de course, en faisant attention pour ne pas déraper dans la boue de gypse qui couvre le sol. Le premier maître, qui surveille la fin du chargement à partir du quai, me nargue en tapant des mains en cadence. Les matelots sur le pont, déjà à leur poste prêts à larguer les amarres, m’encouragent avec de grands gestes de la main. Les gars de terre, habitués à me voir arriver à la dernière minute, arborent un sourire narquois.

Et moi, jurant qu’on ne m’y reprendrait plus, je cours, je cours, je cours… et j’y arrive de justesse, juste après que le premier maître soit remonté à bord et que le dernier des gars de terre soit descendu.

Je file vers la salle des machines, moins pour reprendre mon poste au plus vite pour remplacer le chef, que pour éviter les reproches du capitaine. Je dois d’abord reprendre mon souffle dans le calme de la salle des machines.

Le «stand-by» est déjà sonné, la manœuvre est commencée, le chef hoche la tête mais ne dit rien (vu que je lui ai ramené une cargaison de thé) et nous sommes repartis vers de nouvelles aventures.

Un autre voyage à Stony Point, et dans moins d’une semaine, nous reviendrons à Hantsport!

vendredi, février 23, 2007

Entrée en territoire occupé! (le 2 octobre 2001)


Nous nous dirigeons vers Stony Point, en amont de New-York, de peine et de misère, à travers vents et marées… Nous passons par le canal du Cap Cod, parce que la tempête fait rage plus au large… Nous nous mettons ensuite à l’ancre à Ambrose, à la station de pilotage au large de l'état de New York, là où tous les navires reçoivent la consigne d’attendre une inspection de la garde côtière américaine. Nouvelles mesures dues aux récents évènements du 11 septembre 2001. Nous attendons, toute la nuit, mais personne ne vient...

Le lendemain, nous obtenons l’autorisation de partir. Nous poursuivons donc notre route vers New-York-la-ville, après qu’un pilote américain soit monté à bord pour nous guider, procédure normale dans les rivières.


Au bout d’une heure de navigation, alors que nous arrivons en vue de la statue de la Liberté, nouvelle consigne. Il faut maintenant passer les ponts de Manhattan sous escorte de remorqueurs. Le 11 septembre se fait encore sentir. L’administration du port de New-York, ne voulant pas être en reste avec la paranoïa générale qui s’est emparée du pays, doit prévoir le cas où notre capitaine serait un de ces kamikazes venus exprès pour sacrifier son navire, son équipage, sa cargaison et sa carrière sur un pilier de pont… Nous devons alors tourner en rond à vitesse réduite pour attendre la disponibilité des remorqueurs. C’est que nous ne sommes pas les seuls kamikazes putatifs… Le trafic dans le port de New-York est considérable. Et les ennemis de la Nation sont partout!

Je profite du délai pour sortir de la salle des machines et admirer le paysage. C'est mon premier passage devant New-York de puis les Événements... Je constate de visu la disparition des deux tours familières.

Ainsi donc, il ne s’agit effectivement pas d’un immense canular à la HG Wells. Dès notre arrivée, je m’empresserai de confirmer la nouvelle par courriel à mes amies qui pourraient être encore sceptiques.

Enfin, les remorqueurs arrivent et, bien entourés par tribord et par bâbord, nous continuons notre chemin… Nous passons le pont de Manhattan sans montrer d’agressivité envers les piliers, ce qui doit certainement rassurer l’administration Bush. Les remorqueurs nous larguent pour aller escorter d’autres capitaines suspects qui attendent leur tour pour passer.

Nous continuons donc notre route tout seuls comme des grands. Après avoir remonté l’Hudson pendant un autre quatre heures, nous finissons par arriver en vue de notre quai, à Stony Point, loin de toute l’agitation de la ville. Juste à temps pour la marée. Dès l’accostage, les agents de l’immigration arrivent à bord et vérifient les visas, les passeports, les papiers, les gens. Comme d’habitude. Sauf que cette fois-ci, il s’avère que les Philippins et les Polonais sont interdits de séjour aux États-Unis d’Amérique (prononcer sur l’air de «God save the Queen», «God bless America», ou bien «God is an American», au choix).

Fort bien. Ce qui ne laisse, tout compte fait, que moi-même (Canadienne) et le capitaine (un Écossais) libres de sortir. À la grande surprise des Agents de l’Immigration de Son Gracieux Président, je suis loin de me rengorger de l’honneur qui m’est fait. Je sais ce qui va se passer... Le chef cook avait prévu de faire des emplettes complémentaires au supermarché pour améliorer l’ordinaire et il a fait une liste d’un kilomètre de long. Puisqu’il ne peut sortir du navire, ce sera le capitaine et moi qui allons hériter de la tâche.

Et c’est ainsi que nous nous sommes retrouvés au supermarché, avec deux paniers d’épicerie pleins, à nous demander à quoi peut bien ressembler le chou chinois inscrit sur la liste par notre cuisinier…

Moi qui déteste aller à terre, et qui déteste magasiner… Pfffft!
Voilà où ça nous mène d'être Canadien!!!

dimanche, janvier 21, 2007

Aventures dans le fore deep

Cette fois, le Destin me conduit dans le «fore deep ballast tank», qui, comme son nom l'indique, est en avant (fore), profond (deep), sert à l'eau de lest (ballast) et est un réservoir (tank). Nous avons une réparation à faire. Il s'agit de la soupape d'aspiration d'eau de mer de la pompe à feu d'urgence, qu'un ingénieur, bien au chaud dans son petit bureau, a jugé pratique de mettre dans le fond d'un réservoir inaccessible.

En tant que Responsable, il m'incombe de superviser la dite réparation, mais attention, c'est le «fitter» qui s'y colle. C'est un gentil garçon aux yeux de velours.

C'est donc flanquée de mon fitter et d’un sous-fifre, munis de l’équipement nécessaire à la conduite de notre mission (lampe de poche, corde, sceau, marteau, pipe wrench, combinaisons jetables et bien sûr le précieux certificat de permis d’entrée dans un compartiment fermé), que nous nous dirigeons vers l’avant du navire.

Le trou d’homme qui ferme l’accès au «fore deep» a été préalablement ouvert et ventilé par un autre sous-fifre. L’atmosphère est testée, 20,9% d’oxygène, c’est bien. J’enfile une combinaison jetable. Mon fitter fait de même. Je protège ensuite mes cheveux d’une guenille propre. Mon fitter juge la précaution inutile. Il est chauve (on peut avoir des yeux de velours et être chauve!). Gants, lumière, outils, tout est prêt. Sous-fifre restera en haut pour monter la garde. Non pas que nous nous attendions à une attaque d’espions armés jusqu’aux dents cherchant à dominer l’univers mais, plus prosaïquement, il s’agit d’une précaution protocolaire dans le cas où nous manquerions d’air, manquerions un échelon puis tomberions dans le fond du réservoir en nous assommant sur les varangues en passant et nous noierions dans l’eau croupie en gisant dans notre sang dans d’atroces souffrances.

C’est parti. J’entreprends prudemment la descente des barreaux de l’échelle, lampe de poche entre les dents. À l’intérieur, il fait noir, froid et humide. Le visage de mon co-équipier se profile là-haut, sur le pont, au travers de l’étroite ouverture d’accès. La journée est belle, le roulis n’est pas trop incommodant. Tant mieux, il ne me vomira pas dessus.

J’atteins le premier palier, 6 mètres plus bas. Il n’y a pas encore trop de boue. Je me demande si je n’ai pas exagéré en entourant mes bottes de travail de sacs de plastique! Le fitter me rejoint, puis je continue vers le fond, que je vois déjà, à la lueur de la lampe, couvert d’eau qui ballote doucement au gré des vagues. Bon. Espérons que les sacs de plastique recouvrant mes bottes ne sont pas percés! Floc! Floc! Trois pouces d’eau, ce n’est pas la mer à boire. Ni même la rivière Hudson. En essayant d’ignorer le filet d’eau glacée qui s’infiltre lentement dans mes chaussettes (finalement un des sacs est percé et la botte qui est dedans aussi), je tente de localiser la soupape d’aspiration d’eau de mer qu’un ingénieur, bien au chaud dans son… (etc).

Ça y est, je la vois, dans la section voisine, à l’endroit où le fond du navire remonte en pente. Je dois encore ramper quelques mètres vers bâbord. Ici, il y a moins d’eau mais une épaisseur de boue s’est installée, dans laquelle les sacs de plastique de mes bottes restent collés.

Pourquoi est-ce que je pense au camp d'été du Collège, justement en ce moment? Je me sens comme en «excursion», ces épiques aventures d’antan, où nous nous mettions dans le trouble tête baissée, avec un enthousiasme fébrile (dans l’espoir d’être nommé «campeur du jour»). Et plus nous mangions de la misère, plus nous étions fiers… Regroupement de sado-masochistes, ces moniteurs avec leurs campeurs? Épreuves rituelles, misère gratuite, souffrances inutiles? Mais, au milieu de tout ça, nous avions du FUN! On nous avait si bien conditionnés à en avoir que nous en avions.

Et c’est sans doute pour ça que, au fond du réservoir, une certaine part de moi-même est ravie de s’être enlisée dans la vase, de devoir ramper d’une varangue à l’autre, d’avoir l’arrière-train mouillé à force de s’asseoir sur les structures froides et couvertes de boue. J’ai du FUN!!! Et je comprends, en un éclair de lucidité, comment les camps de vacances sont une préparation à la Vie, une formation essentielle pour affronter notre Destinée, sourire aux lèvres, en chantant. Comme Michel Sardou…

Je me sens comme dans un camp de vacances, et en plus je suis payée!!! Décidément la vie est bien faite! Mais comme toute bonne chose a une fin, pendant que je cogitais sur le romanesque de notre expédition, mon fitter, moins bien payé que moi, est descendu à son tour et s’est activé le derrière (lire «s'est grouillé le cul») pour procéder à la réparation.

Il faut bien que nous remontions, n’ayant plus rien à faire ici. En plus, c’est déjà l’heure du café du matin.

Il fait vraiment très beau aujourd’hui! Pendant mes vacances, j’aurais tué pour une journée comme celle-là! On prend le pilote vers 15h, on arrive au quai vers 21h. Je dois rester dans la salle des machines tout le temps des manœuvres. En attendant (après avoir fait mon rapport en trois exemplaires), je consacre mon début d'après midi à ne rien faire.

Ah, si je ne suis pas élue «campeuse du jour» après ça!

lundi, janvier 15, 2007

La saga de l'ordinateur

Tout a commencé un 4 avril, à Norfolk. Nous devions nous mettre sur le courant de terre. Planification soignée de la procédure de « shut-down », y compris la fermeture des ordinateurs de bord, surtout celui de la « computer room », qui est le dépositaire du Juno, notre programme de communication par courriel.

Tout se passe comme prévu : les valves d’eau de mer coulent, la chaudière a des fuites, les tuyaux cédent les uns après les autres, rien que de la routine, quoi. Assez tout de même pour occuper la majeure partie de mon temps.

Dès que j’ai eu quelques minutes, j’ai reparti l’ordinateur du Juno (le logiciel qui nous permet de recevoir du courriel!), espérant glaner quelques informations du monde extérieur en général et de mon corresponel en particulier. À peine étais-je connectée, que de la fumée sort par le boîtier de l’ordino!!!

Ciel! Moi qui ai horreur de la fumée, en plus (non, je ne fume pas)! Je ferme l’ordi en catastrophe!

Plus le temps de m’en occuper, je dois déjà retourner à la soupape d’arrêt de vapeur de la génératrice, qui réclame mes soins. J’avertis le chef maître, qui semble s’y connaître en ordi, et qui n’a rien d’autre à faire que de se pogner le cul pendant nos travaux (maudits gars de pont!).

Mais, il semble que cette activité le réclamait à plein temps puisque nous avons fini par quitter Norfolk au bout de 5 jours et il n’avait toujours pas touché à l’ordi.

Enfin en mer, je pris le taureau par les cornes, et l’ordi par les boulons! Je découvris un vieil ordinateur dans une armoire, et, après enquête auprès de Burak*, il s’est avéré qu’il s’agissait de l’ancien ordinateur du Gyspun King, qui avait été changé pour un plus puissant, les chanceux. Bon. Le petit ventilateur à l'arrière ne fonctionne pas? Qu’à cela ne tienne! Je pirate celui du King, que je me mets en devoir d’installer dans la boîte en fer-blanc qu’il y a en haut dans le coin arrière. Oui, car je ne sais pas trop à quoi ça sert, je n’y connais rien, je l’avoue.

Je commence par déconnecter soigneusement cette boîte. J’identifie toutes les connections avec des bouts de masking tape : « milieu », « en haut » « connection lousse » etc… Merde, c’est qu’il y en a!!! Pour plus de sûreté, je note sur un bout de papier les couleurs des fils. Le couvercle de la boîte est retenu par quatre petites vis, et porte la mention suivante : « Achtougne! N’ouvrez jamais cette boîte car de toutes façons vous ne pourrez rien réparer, espèce de débile! » (Ou quelques chose du genre).

D’accord. Je vais juste remplacer la boîte au complet par celle du King, complète avec le ventilo. Je reconnecte. Meeerde! Ça marche pô.

Quatre vis n’ont jamais été à mon épreuve. Rien ne me résiste. J’ouvre. Je remplace le ventilo d’une main de maître (ou de mécano plutôt) et je reconnecte le tout, avec la boîte originale. Meeerde! Ça marche pô.

La boîte elle-même serait-elle défectueuse? Je la replace sur l’ordino du King et je teste. Oui, ça marche. Donc la boîte n’y est pour rien. Je suis donc en possession de la boîte du Baron munie du ventilo du King. Que faire? J’ai bien un ordinateur en état, mais c’est celui du King, moi je veux mon Juno et mon amoureux qui m'envoie des courriels.

Entretemps, le chef maître sort de son quart et se décide enfin à me donner un coup de pouce. Il me suggère d’échanger les disques dur. Oui, d’accord, mais c’est où le disque dur??? J’apprends qu’il s’agit d’une petite boîte que j’avais identifiée comme « milieu ». Heureusement, toutes mes identifications étaient en français, j’avais l’air moins nouille, ça pouvait passer pour des termes techniques hautement complexes. Nous échangeons les disques dur. Satisfait et épuisé de son effort, le chef maître me laisse démarrer l’ordi en me recommandant de suivre les instructions à l’écran, po prostu (ce qui signifie «tout simplement» en polonais), et il sort fumer une cigarette (je ne supporte pas la fumée, je l'ai déjà dit?).

Il n’a même pas le temps de l’allumer (sa cigarette) que je l’appelle déjà à mon secours. L’ordinateur ne reconnaît pas le disque dur. Le chef-maître s’assoit, programme, et nous retrouvons notre Juno!!!

Victoire! Hourra!

J’attends Hantsport impatiemment pour pouvoir me connecter.

Hantsport :

Enfer et blood and guts! L’ordinateur ne reconnaît pas le modem et refuse obstinément de se connecter! Impossible d’appeler le chef maître : il est sur le quai à veiller au chargement. Je me ronge les ongles (au figuré parce qu’ils sont pleins de cambouis et un peu dégoutants…) jusqu’au départ de Hantsport.

Nous avons maintenant jusqu’à Stony Point (3 jours) pour faire des miracles. Nous trouvons un modem externe flambant neuf dans un rangement. Cet idiot de chef maître demande à Burak la permission de l’installer. Burak refuse. Bien sûr. Je fais savoir au chef maître qu'il a été maladroit dans ce coup : « T’AURAIS PAS PU TE FARMER LA YEULE PIS L’INSTALLER SANS RIEN DIRE, IDIOT? DEPUIS QUAND ON DEMANDE QUELQUE CHOSE À BURAK? »

Heureusement, l’ordinateur de Burak tombe en panne. Connaissant ma grande expertise dans le domaine, il m’appelle à son secours. J’arrive avec mon voltmètre, je teste quelques connections au hasard. Pendant ce temps, je manœuvre habilement pour obtenir de Burak la permission, qu’il m’accorde, éperdu de reconnaissance. Je finis par déclarer son ordinateur officiellement kaput.

Je me précipite sur la boîte du modem et je tente de l’installer. Ô déception cruelle, il n’y a pas de port série pour le ploguer!!! Je passe sur les jurons échappés à ce moment. Je retourne voir le chef maître. Il ne voit qu’une solution : la greffe de modem. Nous retournons dans la carcasse de notre ancien ordinateur et nous en extirpons le modem, qui s’avère être une carte, en bas, en arrière. Oh.

Nous procédons donc à la délicate opération avec une dextérité à faire rougir un vétérinaire. La transplantation semble avoir réussi, il n’y a pas de rejet de la part du patient qui démarre servilement. Son disque dur reconnait une âme sœur en ce nouveau modem, et pour cause, ils étaient siamois dans une autre vie. Ou plutôt dans une autre carcasse. Nous profitons de l’occasion pour rapieuter la mémoire libre (des petits blocs noirs) de l’ordinateur original du Gypsum Baron et les installer dans notre nouvel hybride, pour en améliorer la performance. Si nous résumons : nous avons le disque dur du Baron dans la carcasse du King, la boîte de démarrage du Baron munie du ventilo du King, et le modem du Baron pour ajouter la touche finale qu’il manquait à mon bonheur. Avec extra mémoire, pépéroni et olives noires.

Je suis heureuse.

Coup de théâtre! Burak, épaté par notre succès, s’est mis en tête de pirater les éléments de notre chef-d’œuvre pour faire fonctionner le sien. PAS QUESTION! Il n’a pas le choix, il n’y connaît rien (encore moins que moi) et sans nous il ne peut rien faire. Il fait donc venir un technicien de Stony Point, et pour 250$ US, son ordinateur fonctionne à nouveau.

Tout irait donc pour le mieux dans les meilleurs des bateaux si une autre catastrophe épouvantable ne m’était tombée dessus : LA CAFETIÈRE NE FONCTIONNE PLUS!!!

Là, j’ai atteins mon seuil d’incompétence, je l’avoue. Vu que je suis la seule à boire du café, je me bricole un porte filtre avec un baton de chiche kebab et bingo, je retrouve mon café, meilleur qu’avant!

Rien ne vient plus assombrir mes matinées, j’écris mon courriel et je bois mon café…


* Burak : signifie «betterave» en polonais. C'est le surnom donnée à notre capitaine. Attention, tous les capitaines ne sont pas des Buraks, mais sur trois capitaines de notre compagnie, nous avions deux Buraks...