lundi, janvier 15, 2007

La saga de l'ordinateur

Tout a commencé un 4 avril, à Norfolk. Nous devions nous mettre sur le courant de terre. Planification soignée de la procédure de « shut-down », y compris la fermeture des ordinateurs de bord, surtout celui de la « computer room », qui est le dépositaire du Juno, notre programme de communication par courriel.

Tout se passe comme prévu : les valves d’eau de mer coulent, la chaudière a des fuites, les tuyaux cédent les uns après les autres, rien que de la routine, quoi. Assez tout de même pour occuper la majeure partie de mon temps.

Dès que j’ai eu quelques minutes, j’ai reparti l’ordinateur du Juno (le logiciel qui nous permet de recevoir du courriel!), espérant glaner quelques informations du monde extérieur en général et de mon corresponel en particulier. À peine étais-je connectée, que de la fumée sort par le boîtier de l’ordino!!!

Ciel! Moi qui ai horreur de la fumée, en plus (non, je ne fume pas)! Je ferme l’ordi en catastrophe!

Plus le temps de m’en occuper, je dois déjà retourner à la soupape d’arrêt de vapeur de la génératrice, qui réclame mes soins. J’avertis le chef maître, qui semble s’y connaître en ordi, et qui n’a rien d’autre à faire que de se pogner le cul pendant nos travaux (maudits gars de pont!).

Mais, il semble que cette activité le réclamait à plein temps puisque nous avons fini par quitter Norfolk au bout de 5 jours et il n’avait toujours pas touché à l’ordi.

Enfin en mer, je pris le taureau par les cornes, et l’ordi par les boulons! Je découvris un vieil ordinateur dans une armoire, et, après enquête auprès de Burak*, il s’est avéré qu’il s’agissait de l’ancien ordinateur du Gyspun King, qui avait été changé pour un plus puissant, les chanceux. Bon. Le petit ventilateur à l'arrière ne fonctionne pas? Qu’à cela ne tienne! Je pirate celui du King, que je me mets en devoir d’installer dans la boîte en fer-blanc qu’il y a en haut dans le coin arrière. Oui, car je ne sais pas trop à quoi ça sert, je n’y connais rien, je l’avoue.

Je commence par déconnecter soigneusement cette boîte. J’identifie toutes les connections avec des bouts de masking tape : « milieu », « en haut » « connection lousse » etc… Merde, c’est qu’il y en a!!! Pour plus de sûreté, je note sur un bout de papier les couleurs des fils. Le couvercle de la boîte est retenu par quatre petites vis, et porte la mention suivante : « Achtougne! N’ouvrez jamais cette boîte car de toutes façons vous ne pourrez rien réparer, espèce de débile! » (Ou quelques chose du genre).

D’accord. Je vais juste remplacer la boîte au complet par celle du King, complète avec le ventilo. Je reconnecte. Meeerde! Ça marche pô.

Quatre vis n’ont jamais été à mon épreuve. Rien ne me résiste. J’ouvre. Je remplace le ventilo d’une main de maître (ou de mécano plutôt) et je reconnecte le tout, avec la boîte originale. Meeerde! Ça marche pô.

La boîte elle-même serait-elle défectueuse? Je la replace sur l’ordino du King et je teste. Oui, ça marche. Donc la boîte n’y est pour rien. Je suis donc en possession de la boîte du Baron munie du ventilo du King. Que faire? J’ai bien un ordinateur en état, mais c’est celui du King, moi je veux mon Juno et mon amoureux qui m'envoie des courriels.

Entretemps, le chef maître sort de son quart et se décide enfin à me donner un coup de pouce. Il me suggère d’échanger les disques dur. Oui, d’accord, mais c’est où le disque dur??? J’apprends qu’il s’agit d’une petite boîte que j’avais identifiée comme « milieu ». Heureusement, toutes mes identifications étaient en français, j’avais l’air moins nouille, ça pouvait passer pour des termes techniques hautement complexes. Nous échangeons les disques dur. Satisfait et épuisé de son effort, le chef maître me laisse démarrer l’ordi en me recommandant de suivre les instructions à l’écran, po prostu (ce qui signifie «tout simplement» en polonais), et il sort fumer une cigarette (je ne supporte pas la fumée, je l'ai déjà dit?).

Il n’a même pas le temps de l’allumer (sa cigarette) que je l’appelle déjà à mon secours. L’ordinateur ne reconnaît pas le disque dur. Le chef-maître s’assoit, programme, et nous retrouvons notre Juno!!!

Victoire! Hourra!

J’attends Hantsport impatiemment pour pouvoir me connecter.

Hantsport :

Enfer et blood and guts! L’ordinateur ne reconnaît pas le modem et refuse obstinément de se connecter! Impossible d’appeler le chef maître : il est sur le quai à veiller au chargement. Je me ronge les ongles (au figuré parce qu’ils sont pleins de cambouis et un peu dégoutants…) jusqu’au départ de Hantsport.

Nous avons maintenant jusqu’à Stony Point (3 jours) pour faire des miracles. Nous trouvons un modem externe flambant neuf dans un rangement. Cet idiot de chef maître demande à Burak la permission de l’installer. Burak refuse. Bien sûr. Je fais savoir au chef maître qu'il a été maladroit dans ce coup : « T’AURAIS PAS PU TE FARMER LA YEULE PIS L’INSTALLER SANS RIEN DIRE, IDIOT? DEPUIS QUAND ON DEMANDE QUELQUE CHOSE À BURAK? »

Heureusement, l’ordinateur de Burak tombe en panne. Connaissant ma grande expertise dans le domaine, il m’appelle à son secours. J’arrive avec mon voltmètre, je teste quelques connections au hasard. Pendant ce temps, je manœuvre habilement pour obtenir de Burak la permission, qu’il m’accorde, éperdu de reconnaissance. Je finis par déclarer son ordinateur officiellement kaput.

Je me précipite sur la boîte du modem et je tente de l’installer. Ô déception cruelle, il n’y a pas de port série pour le ploguer!!! Je passe sur les jurons échappés à ce moment. Je retourne voir le chef maître. Il ne voit qu’une solution : la greffe de modem. Nous retournons dans la carcasse de notre ancien ordinateur et nous en extirpons le modem, qui s’avère être une carte, en bas, en arrière. Oh.

Nous procédons donc à la délicate opération avec une dextérité à faire rougir un vétérinaire. La transplantation semble avoir réussi, il n’y a pas de rejet de la part du patient qui démarre servilement. Son disque dur reconnait une âme sœur en ce nouveau modem, et pour cause, ils étaient siamois dans une autre vie. Ou plutôt dans une autre carcasse. Nous profitons de l’occasion pour rapieuter la mémoire libre (des petits blocs noirs) de l’ordinateur original du Gypsum Baron et les installer dans notre nouvel hybride, pour en améliorer la performance. Si nous résumons : nous avons le disque dur du Baron dans la carcasse du King, la boîte de démarrage du Baron munie du ventilo du King, et le modem du Baron pour ajouter la touche finale qu’il manquait à mon bonheur. Avec extra mémoire, pépéroni et olives noires.

Je suis heureuse.

Coup de théâtre! Burak, épaté par notre succès, s’est mis en tête de pirater les éléments de notre chef-d’œuvre pour faire fonctionner le sien. PAS QUESTION! Il n’a pas le choix, il n’y connaît rien (encore moins que moi) et sans nous il ne peut rien faire. Il fait donc venir un technicien de Stony Point, et pour 250$ US, son ordinateur fonctionne à nouveau.

Tout irait donc pour le mieux dans les meilleurs des bateaux si une autre catastrophe épouvantable ne m’était tombée dessus : LA CAFETIÈRE NE FONCTIONNE PLUS!!!

Là, j’ai atteins mon seuil d’incompétence, je l’avoue. Vu que je suis la seule à boire du café, je me bricole un porte filtre avec un baton de chiche kebab et bingo, je retrouve mon café, meilleur qu’avant!

Rien ne vient plus assombrir mes matinées, j’écris mon courriel et je bois mon café…


* Burak : signifie «betterave» en polonais. C'est le surnom donnée à notre capitaine. Attention, tous les capitaines ne sont pas des Buraks, mais sur trois capitaines de notre compagnie, nous avions deux Buraks...