mardi, avril 25, 2006

Le langage des mains


La salle des machines étant un endroit vaste et bruyant, on peut se voir, même de loin, mais pas s’entendre, même de proche. Nous avons donc développé un langage gestuel assez élaboré. Mais attention! Puisque je travaillais avec des Philippins, j’ai appris assez vite que ce langage devait tenir compte de la culture philippine.

Par exemple, il est extrêmement grossier, pour un Philippin, de siffler pour attirer l’attention de quelqu’un. On ne siffle que les chiens. Il faut donc se retenir de porter ses doigts à la bouche pour lancer un de ces sifflets aigus qui à coup sûr, font tourner toutes les têtes vers soi. Les Philippins remplacent cette technique par celle, moins efficace, du «WOUH!». On crie «WOUH!» à plusieurs reprises, avec les mains en porte-voix, pour se convaincre que ça va marcher, jusqu’à ce que quelqu’un se retourne enfin

D’ailleurs, en ce qui concerne le sifflage, pour une femme, c’est totalement interdit, même pour siffloter un air. Vu que je chante très mal, c’est mon seul moyen d’expression artistique lorsque je suis de bonne humeur. Je ne vais pas me retenir là-dessus!!!

Selon leur coutume, ils ne doivent pas laisser une femme forcer, ou travailler dur, ou même manipuler un outil ou un objet lourd (mis à part l'aspirateur, les casseroles, et les bébés). Ils sont un peuple très galant, mais en même temps respectueux de l’autorité. C’est sur ce point que je mise quand je veux travailler en paix avec mes petites menottes féminines. Je leur donne de l’ouvrage loin de moi. Quand ils sont occupés ailleurs, je fais ce que je veux. Même me donner un coup de marteau sur les doigts.

Gare à moi si je laisse l’un d’eux apercevoir une goutte de sang ou une plaie quelconque! Le témoin accourt avec la trousse de premiers soins, le visage blême, anxieux, la gorge serrée, avec un sentiment de culpabilité de n’avoir pas su mieux me protéger!

Siffler un air malgré leur interdit est un des moyens de leur faire comprendre qu’ici, je ne suis pas une «femme», je suis leur second mécano, et par conséquent, leur «boss»! Comme démonstration d'autorité, j'avoue que siffler l'air du gendarme à Saint-Tropez c'est un peu particulier, mais ça marche. Ils n'osent rien dire, preuve qu'ils sont prêts pour prendre les ordres de la journée.

Autre point délicat, le signe de la main qui signifie «suis-moi» ou «viens t’en». Nous, occidentaux, tournons la paume vers le haut puis agitons les doigts vers nous, vers le haut. Encore là, ce signe est réservé aux chiens chez les Philippins. Eux tournent la paume vers le bas et agitent les doigts vers eux mais vers le bas, ce qui, chez nous, signifie plutôt «vas-t’en», «décolle», ou «décrisse», selon l’humeur de l’auteur. Il faut s’adapter.

Et encore, le signe de tête affirmatif : alors que nous agitons la tête un minimum de deux fois de haut en bas, ils envoient la tête une seule fois vers le haut et ça leur suffit. Chez nous, ce signe signifie plutôt : «Einh?, Quoi? Quossé que tu veux, toé???». Et possède une connotation légèrement impertinente. J’ai appris la différence la fois où je m’étais fâchée contre un de mes petits gars à qui j’avais demandé s’il avait terminé un travail que je lui avais donné. Après quelques coups de tête qui se voulaient affirmatifs, je commençais à penser qu’il se moquait de moi et qu’il m’envoyait paître. J’ai dû faire amende honorable et accepter d’interpréter désormais ce signe pour un oui.

Un poing fermé (attention, il ne faut pas agiter ce poing, et le présenter sur le côté, le pouce vers le haut!) signifie qu’une soupape est fermée. Les cinq doigts rassemblés vers le ciel en s’ouvrant et se refermant alternativement signifient qu’elle est ouverte. Les deux poings fermés avec les avant-bras qui se croisent devant la figure signifient, de façon plus générale, qu’un appareil, une soupape ou un disjoncteur est fermé.

Ici, quand nous avons les mains pleines et que nous cherchons à désigner quelque chose, nous utilisons le menton. Le maxillaire inférieur s’avance vers l’avant dans sa direction générale, en étirant le cou et en roulant les yeux avec les sourcils relevés. Le Philippin n’agite pas autant de muscles. Il se contente d’avancer les lèvres, avec le visage autrement impassible. Ce qui ne manque pas de donner la curieuse impression qu’il lance un baiser à l’objet convoité.

On finit par s'adapter à ces coutumes philippino-salle-de-machinesques. C'est ce qui fait le charme du métier!