Jour 8 (20 mai)
06h15. Je suis de nouveau de quart, de 06h à 09h. Dure première nuit à la roue. Trois heures collée à la barre, c’est moins relax qu’avec le pilote automatique, on n’a pas le temps de faire autre chose, ni le point, ni pomper les cales, ni même faire du café. À peine le temps d’angoisser dans le noir.
Nous éteignons les frigos, maintenant que le jambon est presque fini. (Enfin!) Il n’y a plus trop de choses périssables de toute façon. Heureusement que le GPS fonctionne à piles puisque nous n’avons même pas de sextant à bord! Et c’est pas avec le trafic qu’il y a sur notre route qu’on pourrait demander notre chemin! Surtout si le même le VHF n’a plus assez d’énergie pour fonctionner!!!
Les batteries se tiennent entre 11 et 12 volts, dans le rouge… Ou peut-être en deçà, l’échelle ne va pas plus loin.
Grain à l’est : le soleil se montre enfin au-dessus des nuages.
La nuit dernière, j’étais de quart de 21h à minuit. JM est apparu vers 22h45 (il n’a pas de montre). Puisque c’est notre première nuit de roue intensive, nous convenons que l’un est à la roue pendant que l’autre fera dodo en stand-by sur la banquette du cockpit. Je n’ai pas eu à le réveiller pour avoir de l'aide avant que ce ne soit l'heure de son quart, mais ça me sécurisait.
À minuit, je prends la banquette, il prend la roue. JM est bon en tout : il apprend vite, fait la bouffe, lave le pont, lève et descend les voiles etc, mais pour l’instant, la roue n’est pas son point fort. Je me réveille à quelques reprises avec le bruit des voiles qui flacottent parce qu'elles ne savent plus où aller. Je l'aide à reprendre le cap et me recouche.
À 02h, nous avons rentré la grand-voile, avec notre skipper qui jugeais que sa présence nuisait au génois. Pas la présence du skipper, mais celle de la grand-voile. (La grand-voile est celle qui est en arrière du mât avant, et le génois est à l'avant du mât avant.)
06h30 : Je crois qu’on va clairer le grain, il semble vouloir nous passer dans le dos. Tant mieux, on a besoin du soleil pour alimenter notre panneau solaire! J’écris tout en barrant, un peu difficile, mais le bateau est stable, il ne nécessite qu’une petite correction de temps à autre.
Je viens de manger la dernière pomme. La dernière orange a été engloutie hier. Je crois qu’il reste encore un pamplemousse quelque part avant que nous ne mourions tous du scorbut.
07h : J’ai fait la vaisselle (à l’eau de mer) pendant que Paul, réveillé, tenait la barre. Ça brise un peu la monotonie de varier les tâches. Nous avons aussi arrêté la pompe à eau douce (nous avons de l’eau potable en bidons en quantité industrielle), le lavabo n’est maintenant alimenté que par le petit robinet d’eau de mer qui fonctionne à pédale. Nous avons tout de même rempli quelques bidons vides avec l’eau douce du réservoir, dont nous n’avons même pas entamé le quart finalement. Dire que nous avions peur d’en manquer! Il faut dire que nous évitions de l’utiliser puisqu’elle puait et avait une couleur un peu douteuse.
07h30 : Je vais aller faire le transfert de combustible (à partir des réservoirs de fond, à la « day tank » ). Je vais pomper à la main, bien sûr, pour économiser les batteries. Environ 8 fois 60 coups de pompe, ce qui nous fait dire que nous allons faire les 400 coups, pour aller remplir ce réservoir. Nous sommes des boute-en-train.
(Pause dans le récit pour vous laisser le temps de rire de ma boutade).
À vitesse réduite, le plein doit être fait toutes les 18 heures. Paul, qui n'est pas encore couché car il est occupé à gérer les poubelles, prendra la barre pendant ce temps. Nos poubelles sont des poubelles bien tenues. Stockées à l'arrière, dans le Zodiac, aucune effluve nauséabonde de risque de nous atteindre, même par vent arrière, puisque tout est lavé, trié, classé.
Je dois me tartiner de crème solaire, le soleil commence déjà à chauffer!
08h : Nous sommes à la latitude 27° 23’. St-Martin est à la latitude 18°, soit environ 600 milles à faire encore. Dans 6 jours au gros max, nous y serons. Incroyable, on commence à en voir le bout.
08h20 : Je cogne des clous… Encore un effort, je termine mon quart à 09h. Je présente un spectacle déplorable: tartinée de crème solaire à FPS60, une serviette blanche qui me couvre la jambe gauche exposée au soleil, mon imper léger sur les épaules car je brûle déjà, le gros chapeau de paille et les lunettes soleil. Et mes inséparables chaussettes spiderman (à semelles antidérapantes) qui me servent de poches et dans lesquelles je glisse ma lampe de poche miniature pour la nuit et un kleenex pour morver. Faut pas avoir d’orgueil.
Mais je ne suis pas la seule à avoir l'air fou. Pendant que JM fait la sieste, nous le prenons subrepticement en photo...
1045 milles de parcourus depuis Canso. On fait environ 5,8 nœuds et on a hâte que le vent tourne de l’est pour pouvoir grignoter quelques degrés vers St-Martin. Nous avons passé le point Milieu, ce point imaginaire dont nous avons rêvé pendant les 6 premiers jours du voyage. Quelle déception quand on regarde ce point symbolique : la mer est toute pareille à celle d'Avant le Point Milieu et à celle d'Après le Point Milieu...
Il est temps de bifurquer vers le sud-sud-ouest, mais le vent s’obstine à nous nuire.
J'inspecte les feuilles météo...
12h30. Le vent a enfin tourné un peu, et le soleil fait sa job de remplir nos batteries qui sont montées à 12,4V, presque dans le vert pâle! Mon moral remonte avec le voltage. Mon prochain quart est de 15 à 18h puis de nouveau cette nuit de minuit à 03h. J’ai dormi un peu ce matin. Je commence à avoir faim, mais je suis tannée de manger du jambon. Voilà trois jours qu’on essaie de le finir. La température du frigo, qu'on a arrêté pour sauver de l'électricité, monte tranquillement.
16h15 : Selon le GPS, le soleil se couchera ce soir à 18h36. La lune devrait commencer à se montrer cette nuit. Je prépare la liste de ce dont j’aurai besoin pour mon quart de nuit : ma mini-flashlight dans mes chaussettes, une barre granola et quelques carottes en cas de fringale, une bouteille d’eau, les jumelles à proximité, préparer mon petit banc pour prendre la roue confortablement, mon pad et mon crayon pour continuer mes chroniques entre deux corrections à la roue, et un gilet chaud au cas où ça deviendrait frisquet.
Ce soir pour souper : un couscous-ration-d'astronaute, absolument infect, qui goûte le sel. Vivement des fruits et des légumes frais!!!
Position à 18h : 26°27'N 58°56'O
vendredi, septembre 16, 2005
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