samedi, avril 07, 2012

Les Planctons

Cette chronique vous fera partager avec moi une expérience traumatisante vécue. Elle relate mes premiers contacts avec les «Planctons», ces êtres étranges venus d'ailleurs *

Naviguant par culte de la houle et mépris de la foule, je m'embarquai, sereinement, toute candide, sur un petit bateau d'aspect anodin. À peine arrivée à bord, on m'apostropha en ces termes : «Combien vous êtes, de votre gang?». Interloquée, je m'inventoriai, et  je pus lui assurer que je n'étais bien qu'une. Ainsi que je le sus plus tard, on m'avait prise pour l'avant-garde d'un troupeau de Planctons, et je réalisai, horrifiée, que je me trouvais sur un navire «scientifique»!

C'est d'ailleurs par cette appellation non contrôlée qu'ils se dénomment eux-même et, de ce fait, nous ravalent, nous, vulgaires marins, au niveau d'une tribu de ramapithèques de l'époque du pliocène. Notre intellect offensé a aussitôt réagi en les qualifiant de «Planctons», titre qui correspond un peu mieux à leurs activités principales à bord, à savoir la prise d'échantillons d'eau du Fleuve et la pêche aux organismes microscopiques s'ébattant dans le fond d'un bécher.

Donc, plutôt que de transporter, peinards, grain, minerai, pétrole ou encore conteneurs, nous trimbalions ces êtres anthropomorphes semant le chaos dans notre organisation sociale si bien rodée.

Sur un navire normal, nous formons tous une grande famille dont le papa est le capitaine et la maman le chef mécanicien. Tels de véritables frères et sœurs, tout l'équipage se méprise cordialement, s'engueule dans l'harmonie la plus complète et rivalise de médisance dans une totale bonne humeur.

Or, crevant ce doux nuage de sérénité sociale, paradis des misanthropes, surviennent ces Étrangers de passage.

Contrairement à un conteneur, un baril de pétrole ou une poignée de gypse, il faut nourrir cet encombrant cargo, écouter leur verbiage, réparer leur lampe de chevet ou leur bécosse... Et puis ils rendent les calculs de stabilité terriblement complexes lorsqu'on sait qu'ils peuvent se transférer spontanément de bâbord à tribord pour une baleine ou un iceberg.

Ils ont pourtant quelques avantages sur le cargo traditionnel : ils embarquent à bord par eux-même, avec juste un minimum de supervision, pas besoin de grues ou de palans, ce qui diminue les frais de manutention. On peut aussi les dresser à aller chercher le journal aux escales du navire et, avec un peu d'adresse, on le leur fait même payer.

Et puis quoi de plus romanesque que d'admirer une aurore boréale en compagnie d'un grand Plancton blond?

* Ailleurs = Institut Maurice Lamontagne